5-20/10/2023 : Quinze jours d’« hommage » à Samuel Paty ! Le témoignage du professeur Tournesol

Professeur de lettres affecté sur deux établissements, les collèges Dupond et Dupont, dans la paisible bourgade de Moulinsart, je livre ici mon témoignage sur la période ayant précédé les vacances de la Toussaint.

Mon récit commence au collège Dupont. Nous sommes le jeudi 5 octobre. Il est environ 12H05. Les élèves ont quitté la salle. Je rattroupe mes affaires. Avant de partir, je réalise que j’ai oublié de consulter ma boite mail de Dupont. J’y apprends qu’une réunion se tient dans une demi-heure afin de préparer la minute de silence pour Samuel Paty, qui aura lieu onze jours plus tard, le lundi 16 octobre. A cet effet, M. le Principal nous met en pièce jointe un document d’aide à la discussion intitulé « Hommage à Samuel Paty : pour aller plus loin. »

Le rappel des faits m’y semble clair et juste : le cours d’Histoire sur la liberté d’expression, la caricature de Muhamad montrée aux élèves, le professeur ayant précisé au préalable que ceux qui le souhaitaient pouvaient regarder ailleurs, l’élève absente qui ment en racontant que le professeur a demandé aux musulmans de sortir, la vidéo calomnieuse du père de l’élève qui fait le buzz sur les réseaux « sociaux », l’assassinat de Samuel Paty au nom de l’islam.

La définition qu’elle donne du terrorisme n’est pas explicite, mais elle se devine : en substance, il s’agissait de tuer pour faire peur aux enseignants afin de les pousser à modifier le contenu de leurs cours.

Celle de l’islamisme est minimaliste, mais également juste : il s’agit du courant « extrémiste » de l’islam, chaque religion étant traversée par une pluralité de courants, dont l’« extrémisme ».

Je me retrouve de même dans ce que dit le texte de la laïcité de l’enseignement, qui implique qu’« aucun sujet n’est a priori exclu du questionnement scientifique et pédagogique » (Chartre de la laïcité, point 12), ainsi que dans le rappel historique sur l’apparition tardive de l’interdiction de représenter Muhamad dans l’islam, miniature persane à l’appui.

Deux points me posent problème :

Tout d’ abord, le texte prend ouvertement parti dans le débat théologique en affirmant que la lecture que font de leur religion les extrémistes religieux est fausse. Or, ce faisant, il rompt avec l’obligation de neutralité qu’impose la laïcité. Dire que l’extrémisme religieux empêche le vivre ensemble dans le cadre républicain et l’émancipation des élèves, c’est une chose. Mais l’Education Nationale n’est pas une autorité théologique. Son rôle n’est pas d’imposer une lecture, mais de donner aux élèves les clefs pour comprendre et réfléchir par eux-mêmes.

Je cite le passage en question : « [La] lecture radicale [que font les islamistes] de la religion islamique est intolérante, violente et très éloignée des véritable valeurs de la religion musulmane. Comme toutes les religions monothéistes, celle-ci prône la paix, l’amour du prochain et le respect de l’être humain. Ce n’est absolument pas ce que font les islamistes ! »

En affirmant, comme si ça allait de soi, que « toutes les religions monothéistes » prônent « la paix, l’amour du prochain et le respect de l’être humain », l’auteur de ces lignes trahit son ignorance totale du sujet. A l’évidence, il n’a jamais lu ni le Tanakh, ni la Bible, ni le Coran. J’ajoute que la préférence affichée dans ce passage pour le monothéisme, au détriment des religions polythéistes ou animistes, constitue une violation supplémentaire du principe de laïcité. Face aux élèves, il faudra donc se borner à rappeler que chaque religion donne lieu à une pluralité de lectures, dont l’« extrémisme ». Hors cours, il pourra être utile de lire ou de relire ce qu’écrivait Karl Marx au sujet de l’indispensable critique des religions.

Deuxième point litigieux : le texte proposé par M. le Principal entretient la confusion entre la religion et ses adeptes, donc entre la critique de la religion, qui relève de la liberté de conscience et d’expression et le dénigrement de personnes en raison de leur appartenance religieuse, qui s’apparente au racisme. J’insiste : dans une société laïque, les religions sont des idéologies comme les autres : on a le droit de critiquer, et même d’insulter, une religion comme on a le droit de critiquer, et même d’insulter, le marxisme, le libéralisme, la philosophie platonicienne ou l’idéalisme hégélien. Le racisme, en revanche, qui vise des personnes et non des idées, est un délit.

Deux passages du texte, en particulier, illustrent cette confusion :

« Attention, donc, à ne pas faire l’amalgame entre islam et islamiste [c’est moi qui souligne]» (ici, il aurait fallu dire « … entre l’islam en général et l’islamisme » ou« …entre les musulmans en général et les islamistes »)

« …les caricatures de Muhamad sont considérées par certains comme des insultes à la religion musulmane » (là, il aurait fallu dire « …comme des insultes aux musulmans » car, comme je l’ai expliqué, l’insulte à la religion musulmane relève de la liberté d’expression, contrairement à l’insulte aux musulmans, qui est un délit.) Excusez-moi si je me répète un peu, mais il faut reconnaître que certains ont les oreilles bien bouchées sur ce sujet !

C’est cette même confusion qui a permis de faire passer, aux yeux d’une partie de l’opinion, Charlie Hebdo, journal critique et irrévérencieux envers les religions, pour un journal raciste, ce qui a été le prélude à la mise à mort de sa rédaction en 2015. Cinq ans plus tard, en faisant simplement son travail de professeur d’Histoire, Samuel Paty a subi le contrecoup de cette campagne idéologique, visant à confondre « blasphème » et racisme. L’usage du terme ambigu d’« islamophobie », signifiant littéralement « peur de l’islam », mais étant utilisé pour désigner tantôt un véritable racisme, tantôt une critique de l’islam, tantôt une opposition à l’islamisme, est au coeur de cette escroquerie intellectuelle, que Charb avait dénoncée peu avant son assassinat dans sa Lettre aux escrocs de l’islamophobie qui font le jeu des racistes.

L’historien Nedjib Sidi Moussa a retracé l’histoire française de cette notion dans un article intitulé Islamophobie : Comment une notion équivoque s’est imposée dans le débat public en France. Au plan international, Emine Erdogan, l’épouse du dictateur qui règne sur la Turquie, s’est récemment félicitée de l’introduction de ce terme dans les textes officiels de l’UNESCO. Au Danemark, la campagne « anti-islamophobie » a joué un rôle moteur dans le rétablissement en cours du délit de blasphème. Pour ma part, je m’étais exprimé sur le sujet au lendemain de l’assassinat de Samuel Paty, à l’occasion de la commémoration de la répression de la manifestation du 17 octobre 1961 au cours de laquelle des dizaines d’indépendantistes algériens perdirent la vie, matraqués, torturés, jetés dans la Seine par la police française. Ma prise de parole d’alors est toujours lisible et audible ICI.

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Je sors de ces réflexions pour me rendre dans la salle des professeurs afin de déposer mes affaires dans mon casier et d’imprimer le texte proposé par M. le Principal. Je trouve les collègues entrain de manger. La réunion doit commencer dans dix minutes. Personne n’a l’air de se presser… J’aurais pu demander à la cantonade : « Vous ne venez pas à la réunion ? » Mais honnêtement, sur les questions que soulève l’assassinat de Samuel Paty, je redoute la confrontation avec mes collègues. Plutôt que de risquer le lancement d’un pré-débat désordonné dans lequel je ne réussirai peut-être pas à m’exprimer convenablement, je préfère garder mes arguments en vue d’une intervention construite dans le cadre de la réunion officielle. Je me dirige donc seul vers la salle de classe où doit se tenir la réunion.

J’arrive cinq minutes en avance. Monsieur et Madame la Principale m’accueillent avec le sourire. Les minutes passent… Pas d’autres profs en vue. Passée l’heure prévue pour le commencement de la réunion, M. le Principal s’en va battre le rappel en salle des profs. Arrivent à sa suite, de mémoire, une quinzaine de collègues, dont la médiatrice. M. le Principal nous projette son document. La plupart des intervenants se disent mal à l’aise ou/et incompétents pour parler d’islamisme et de laïcité. Moi qui craignais une confrontation, je trouve les collègues présents tétanisés et désarmés. L’enjeu n’est pas du tout : Comment dialoguer avec les élèves en leur fournissant les clefs pour comprendre et réfléchir ? Mais tout au contraire : Comment annoncer la minute de silence en évitant toute discussion avec les élèves ? Et surtout : Comment ne pas parler de religion ? Je ne me souviens plus si je suis intervenu avant ou après les autres. J’ai exprimé mes critiques, positives et négatives, sur le texte. Mais je n’ai pas mentionné l’instrumentalisation de la cause antiraciste par les islamistes et leurs idiots utiles au moyen du concept d’« islamo-phobie ». J’ai bien senti qu’il fallait avant tout clarifier le fond du sujet : le racisme vise des personnes, pas des idées. Dans ce contexte, une polémique lexicologique aurait pu nuire à la réception de mon message. Ce dernier a d’ailleurs été jugé « complexe » par M. le Principal. Mais dans l’ensemble, mon intervention a été très bien accueillie. Elle a été complétée par certains intervenants, notamment la médiatrice qui a insisté sur le rôle des réseaux sociaux. Je n’ai eu aucun contradicteur.

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Comment expliquer le désarroi des collègues présents à cette réunion ? Comment expliquer l’absence de tous les autres, en particulier des plus militants, ceux avec qui nous avions tenté de mobiliser pendant le mouvement pour la défense des retraites ?

Les syndicats déplorent, à juste titre, l’absence de véritables moments de concertation sur le temps de travail. Mais quand bien même on nous eût accordé une demi journée banalisée pour préparer cette minute de silence, cela aurait-il modifié quoique ce soit au malaise général ? Je ne le pense pas. Imaginons à présent que le terroriste n’ait pas été un islamiste mais un intégriste catholique ou un suprémaciste blanc… Je vois d’ici les visages se décontracter, se détendre les nuques et les épaules. J’entends la respiration qui reprend. De petits bavardages éclosent ici et là. On s’échange un sourire, les yeux légèrement humides de soulagement. Le Bien et le Mal ont retrouvé la place qui leur avait été assignée de toute éternité… Mais non ! Ce n’était qu’une ébauche d’uchronie, comme on en trouvait dans certains comics de mon enfance, du genre : « Et si Spider man avait été piqué par une punaise de lit plutôt que mordu par une araignée… » Le tueur était bien islamiste. Il va falloir faire avec. Et Spider man ne peut rien pour nous. Le problème des collègues, comme de la société dans son ensemble, ce n’est donc pas le terrorisme, ni même la laïcité, c’est l’islamisme, cet OVNI politique que la droite aime associer à la gauche en dénonçant l’« islamo-gauchisme » de son adversaire, et que la gauche, le plus souvent, n’associe à rien, ne définit pas, ne voit pas, même quand il manifeste à ses côtés !

Il n’y a pourtant rien de bien compliqué à comprendre : tout le monde admet que les intégristes catholiques, évangélistes, hindouistes, juifs… sont d’extrême droite. Et bien l’islam politique ou islamisme, c’est l’extrême droite musulmane. Tout simplement. Et comme toute les extrêmes droites elle peut, quand elle le juge opportun, revendiquer une dimension « sociale » en se prétendant « ni de droite ni de gauche ». Comprendre cette réalité, et l’admettre, c’est comprendre et admettre l’universalité des clivages politiques et, au fond, comprendre et admettre l’universalité humaine. La personne de culture musulmane est un humain comme les autres. Elle n’est pas détentrice d’une expérience et d’un savoir incommunicable. Son individualité n’est pas fondue dans un bloc communautaire. Comme tout un chacun, elle est capable de dialoguer et de débattre. Craindre a priori de l’offenser en dénonçant l’islamisme, c’est aussi absurde que d’éviter de critiquer Zemmour devant un français « de souche », de peur de le vexer ! Et pourtant, le nationalisme xénophobe, comme l’islam politique, progressent. Il y a donc bien matière à débat… avec tout le monde !

Mais comment en est-on arrivé à un tel niveau de désarmement idéologique face à l’islamisme ? Faut-il incriminer le gouvernement ? L’Education Nationale, qui aurait mal formé ses professeurs ?

Pour ma part, je n’attends pas d’un tel gouvernement qu’il fasse ma formation politique ! En revanche, je ne peux que constater, et déplorer, la faillite globale des organisations issues du mouvement ouvrier : politiques, syndicales et associatives. Il existe par exemple un réseau intersyndical de lutte contre l’extrême droite : VISA (Vigilance et Initiatives Syndicales Antifascistes). Allez sur leur site et cherchez-y une analyse de l’histoire, des différents courants, des réseaux, relais associatifs, de la stratégie et des campagnes idéologiques de l’extrême droite islamiste…

Samedi 7 octobre

L’information de l’attaque du Hamas contre Israël, avec son cortège d’exactions, me parvient d’abord par bribes, au cours de conversations téléphoniques. Je réalise du même coup l’horreur vécue par les civils israéliens et le cauchemar qui va en résulter pour les civils gazaouis, qualifiés d’« animaux humains » par le ministre israélien de la défense Yoav Galant. Belle réussite pour le pouvoir iranien qui espère ainsi raffermir son autorité chancelante à grand renfort de baratin sur la « cause palestinienne ». Une aubaine également pour Erdogan qui, comme à son habitude, lave ses mains souillées du sang des Kurdes dans celui des Palestiniens. J’entends parler d’un tweet de Philippe Poutou : « Cette-fois-ci, l’offensive est du côté de la Résistance. Intifada ! » Sûrement une fake news. Il n’est quand-même pas débile à ce point !

Les jours qui suivent

C’est jeudi prochain 12 octobre que je dois préparer mes 6° de Dupont à la minute de silence pour Samuel Paty. J’ai le cerveau sous les bombes. Les élèves vont sûrement me demander : « Mais pourquoi une minute de silence pour Samuel Paty et pas pour les civils palestiniens ? … les civils israéliens ?… Nahel ?… » Et je pourrais ajouter : « ou pour les civils et les résistants kurdes (qui, contrairement au Hamas, méritent vraiment le nom de résistants, car lorsqu’ils se battent, c’est toujours contre une armée d’occupation ou des milices, jamais contre des civils sans défense, sans parler des valeurs humanistes qu’ils défendent, aux antipodes de celles du parti fasciste Hamas)… pour les femmes de France et d’ailleurs assassinées par leur conjoint ?…pour les enfants victimes de prêtres pédophiles ?…pour les morts de faim ?…de soif ?…de froid ?… »

Parce qu’en assassinant Samuel Paty, c’est l’école publique et laïque que le meurtrier a voulu tuer. Or, l’école publique et laïque est ce qui peut permettre de comprendre le monde, avec toutes ses horreurs et toutes ses injustices, dans la perspective d’un horizon plus respirable.

Jeudi 12 octobre, vers 12H05

Je viens d’avoir la discussion avec mes 6° de Dupont. Quel contraste avec la sidération et le mutisme des adultes ! Soulagé et ragaillardi, j’envoie ce mail à mes collègues de Dupont :

Chères collègues, chers collègues,

Je viens d’avoir la discussion de préparation à la minute de silence avec les 6°Z. Je tenais à vous dire à quel point elle s’est bien passée, contrairement à ce que pouvait laisser présager les craintes exprimées lors de la réunion par plusieurs collègues qui ne se sentaient pas à l’aise pour parler (notamment) de religion, d’intégrisme en général, d’islamisme en particulier, ou de laïcité.

Nous avons récapitulé les faits. Nous avons échangé. Dans le cours de la discussion, nous avons expliqué pourquoi la caricature est un point important du cours d’Histoire. Nous avons abordé les notions de démocratie, de théocratie, de religion, d’intégrisme, de blasphème (qui ne vaut que pour les personnes qui souhaitent se plier à un interdit religieux), de liberté de conscience, de liberté d’expression, de laïcité comme principe de séparation de l’état et des religions, de terrorisme, de djihadisme… Nous avons déconstruit la confusion entre opposition à une religion et racisme, confusion qui a permis le lynchage de Samuel Paty sur les réseaux sociaux (comme de Charlie hebdo avant lui, dont il apparaissait comme le « complice ») et ainsi facilité son assassinat. Ce point particulier, jugé « complexe » lors de la réunion, a été parfaitement compris et admis comme allant de soi par les élèves. Je n’ai eu aucun effort à faire ! Pour finir, j’ai laissé les élèves feuilleter des exemplaires de Charlie hebdo que j’avais apportés.

Cette séance m’a redonné un peu d’espoir. Par ce compte-rendu, j’espère vous en communiquer un peu à vous aussi.

Bonne journée,

Tryphon Tournesol

Quelle sera la réaction des collègues à mon mail ?…

Vendredi 13 octobre

Je travaille toute la journée à Dupond. Je ne me souviens pas avoir reçu d’infos au sujet de la minute de silence à Dupond. Ça m’inquiète. J’ai peut-être raté un mail. Si ça se trouve, je suis censé préparer une ou plusieurs classes aujourd’hui… pendant la récré, je m’informe auprès d’un collègue :

« -Quoi ?… Quelle minute de silence ?

-Pour Samuel Paty… lundi…

-Non. Aucune minute de silence n’est prévue !

-Mais c’est censé être une initiative nationale…

-Je t’assure qu’il n’y a rien à Dupond, en tout cas. Sinon, on le saurait ! Déjà, l’an dernier, on n’avait pas fait de minute de silence…

-Ok… Bon, après tout, il vaut mieux ne rien faire que mal faire ! »

Entre midi et treize vingt-cinq, je consulte mes mails de Dupond et Dupont. Une mère de Dupont se plaint :

Bonsoir,

Merci de bien vouloir me donner les noms de journaux et magazines montrés ce matin pendant votre cours. Ma fille est rentrée choquée de voir autant d’obscénité. J’aimerais comprendre l’utilité de cette démarche de votre part.

Cordialement,

Mme Tapioca

Mon estomac se resserre. Heureusement, je découvre également plusieurs mails de collègues de Dupont qui me remercient pour mon « retour d’expérience positif ».

A la volée, j’apprends qu’un professeur de français est mort poignardé ce matin à Arras, et que plusieurs autres collègues sont grièvement blessés.

Avant de quitter le collège, je répond à la mère mécontente de Dupont en lui résumant ma séance de préparation à la minute de silence, avant de conclure :

Pendant la deuxième heure, les élèves avaient à réaliser un devoir sur table sur le conte. Comme certains ont fini en avance et qu’ils s’ennuyaient, je leur ai proposé de feuilleter les exemplaires de Charlie hebdo que j’avais apportés.

Il n’y a jamais d’obscénité gratuite dans Charlie hebdo, mais il est vrai que des élèves de 6° n’ont pas les connaissances requises pour comprendre l’ensemble des dessins et articles du journal. Comme nous étions en fin d’heure, je n’ai pas pu fournir à tous les élèves les explications nécessaires.

A présent, plutôt que de vous focaliser sur cette incompréhension, je vous invite à rediscuter avec votre enfant de ce qu’elle a retenu sur le fond du sujet. Malheureusement, les nouveaux assassinats de professeurs qui viennent de se produire à Arras nous montrent à quel point cette question est d’actualité.

Bien cordialement,

M.Tournesol

Parmi les dessins ayant pu choquer l’élève, il y avait notamment l’illustration d’une interview de Laure Daussy au sujet de son dernier livre La Réputation. Enquête sur la Fabrique des Filles faciles. Elle y raconte comment, dans certains quartiers, des groupes de garçons, soit par vengeance, soit par simple conformisme, créent des réputations de « filles faciles » à certaines jeunes habitantes, les exposant au harcèlement, au viol et, parfois, au meurtre. L’« obscénité » n’était donc vraiment pas gratuite !

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Le soir en rentrant, je reçois sur ma boite mail personnelle un message d’un camarade du SNES-FSU, dont je suis adhérent. Le message est adressé aux syndiqués de Dupond. Le camarade nous demande si l’un.e d’entre nous serait d’accord pour être « S1 », ce qui, dans notre jargon, signifie responsable local, ou au moins se charger de transmettre les infos en entretenant le panneau syndical.

Samedi 14 octobre

Je réponds au camarade du SNES-FSU :

Bonjour Séraphin,

Je ne souhaite pas devenir S1, ni correspondant du SNES-FSU, ni seul, ni accompagné. Je suis toujours adhérent du SNES-FSU, à titre individuel. Je reste militant autonome, dans la mesure du possible. Je ne suis plus militant du SNES-FSU. Mes divergences avec le syndicat, toutes tendances confondues, sont devenues trop profondes pour que je puisse encore relayer sa presse auprès des collègues.

Bien à toi,

Tryphon

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Peu après, je découvre un message du SNES-FSU académique sur l’attentat d’Arras :

Chères, chers collègues,

Effroi, sidération, tristesse, ces mots reviennent dans toute la communauté scolaire meurtrie, et au-delà, suite à l’attentat terroriste commis vendredi 13 octobre dans un établissement scolaire d’Arras, alors que nous nous préparions à honorer, le 16 octobre, la mémoire de Samuel Paty, notre collègue assassiné il y a trois ans. 

Toutes nos pensées sont depuis tournées vers les proches de Dominique Bernard, professeur de lettres tué par un fanatique islamiste, vers le professeur d’EPS et les agents blessés, leurs proches, leurs collègues et les élèves de la cité scolaire Gambetta-Carnot d’Arras.

Des rassemblements ont été organisés dans toute la France, ce week-end. A Paris, le rassemblement aura lieu lundi 16 octobre à 18h place de la République
.

La FSU condamne cette nouvelle attaque contre un enseignant, et contre l’École comme lieu d’émancipation par le savoir. La FSU continuera de porter l’idée d’une école émancipatrice pour toutes et tous, parce que c’est bien ainsi que se construit l’avenir de la jeunesse et de notre pays…

J’approuve entièrement le contenu de ce texte. Je m’étonne cependant de ne pas le retrouver sur le site internet du SNES académique, qui ne relaye que le communiqué de la FSU (la structure qui englobe le SNES et d’autres syndicats). Or, dans ce dernier, le mot « islamiste » a disparu…

Le texte explique très bien la motivation terroriste de l’assassin :

L’école est devenue une cible pour ce qu’elle représente : un lieu d’émancipation par les savoirs, permettant à chaque élève d’entrevoir une porte, un avenir, quel que soit son milieu d’origine. 

Mais il affirme que celui-ci a agi « au nom de l’obscurantisme », ce qui est faux : le meurtrier mérite bien le qualificatif d’obscurantiste, mais ce n’est pas ainsi qu’il se définit lui-même. C’est au nom de l’islam qu’il a agi. Ayant crié « Allahu Akbar » avant de tuer, il était par ailleurs connu pour être un islamiste militant.

Que cherche la FSU en effaçant cette réalité ?

La conclusion du communiqué sonne faux :

Face à ce drame, chacun devra se montrer à la hauteur. La FSU appelle chacun à s’abstenir de toute instrumentalisation et à respecter le deuil d’une communauté éducative meurtrie.

Quelle « instrumentalisation » peut-on craindre au juste ?

Celle de l’extrême droite nationaliste, qui va utiliser l’attentat pour se positionner en croisé face à l’islamisme. La FSU n’ayant jamais rien mis en place pour contrecarrer l’islamisme, qu’elle ne mentionne même pas dans son communiqué, ça lui sera chose facile !

Celle de la droite et de l’extrême centre qui, aussitôt la nouvelle de l’attentat proclamée, s’est empressée de mettre en accusation les associations de défense des droits des migrants qui, dix ans plus tôt, avaient empêché l’expulsion de la famille du futur tueur, alors âgé de dix ans, et qui n’est fiché S que depuis octobre 2023 !

Oui, un syndicat digne de ce nom doit dénoncer de telles instrumentalisations ! Mais un syndicat digne de ce nom, un syndicat crédible, c’est un syndicat qui s’oppose à TOUTES les extrêmes droites, nationalistes et religieuses !

Dimanche 15 octobre

Je partage en famille un bonheur qui n’enlève rien à personne : la cueillette des noix et des noisettes, au bord de la Seine, entre Meulan et Juzier.

Lundi 16 octobre

C’est la première fois que je revois mes 6° de Dupont depuis l’assassinat de Dominique Bernard. Etrange impression. Je dis quelques mots à l’entrée en classe… sans m’appesantir, car l’essentiel avait déjà été dit au sujet de Samuel Paty !

« A présent, la meilleure façon de résister c’est, pour moi, de continuer à faire cours, et pour vous, de continuer à en tirer le plus grand profit possible ! »

Au beau milieu de la séance, je reçois un appel téléphonique… de Dupont ! Comme je suppose qu’il s’agit d’une urgence, exceptionnellement, je décroche mon téléphone devant les élèves : personne au bout du fil… Étonnant. M’aurait-on pris pour la boucherie Sanzot ?… Je reprends mon cours…

A la fin des deux heures, j’ouvre ma boite mail de Dupont. Rien de spécial. Je vérifie celle de Dupond, au cas où… Je trouve un message m’enjoignant de me rendre au secrétariat « de toute urgence » ! Diantre ! Que se passe-t-il donc ?

Dans la salle des profs, je croise Madame la Principale adjointe. Je lui demande des explications. Elle n’est au courant de rien… Tandis que je traverse la passerelle, en surplomb du préaux, la secrétaire, qui est en bas, me hèle :

« -Tryphon, tu as eu mon message ?

-Non… J’ai vu que Dupont m’avait appelé. Dupond m’a écrit qu’il y avait quelque chose d’urgent…

-Oui, ta messagerie académique a été piratée…

-C’est tout ? Mais qu’y-a-t-il d’« urgent » là dedans ?

-Le rectorat a demandé que tu le contactes d’urgence pour changer ton mot de passe et récupérer ta messagerie…

-Soit !… Il y a quand-même des choses plus graves dans la vie ! »

Accessoirement, ça fait trois ans que je ne suis plus payé pour mes corrections de brevets, mais le rectorat ne m’a jamais demandé de le contacter d’« urgence », pour ça ! En revanche, exerçant sur deux établissements, je suis riche de quatre boites mails professionnelles : celle de Dupond, celle de Dupont, la fameuse messagerie académique (que personne ne regarde jamais), et « I-Prof » !

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Le lundi après-midi, je travaille à Dupond. J’y parviens sans savoir si mes autres 6° ont déjà été préparés à la minute de silence -qui du coup aura bien lieu…- prévue pendant ma séance de deux heures. Mais je ne m’inquiète pas outre mesure : c’est une classe très sympa, et je suis rodé sur le sujet !

« Mesdames et Messieurs, bonjour !… Comme vous le savez peut-être, une minute de silence est prévue tout à l’heure. En avez-vous déjà discuté avec un autre professeur ?… Non ?… Très bien… »

La discussion, avant et après la minute de silence, est aussi constructive qu’avec mes 6° de Dupont. Nous nous quittons sur un petit quart d’heure de lecture détente.

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Après une heure de 5°, ma journée de cours arrive à son terme… Mais il reste le meilleur pour la fin ! Il va falloir dénouer un problème totalement débile, devenu sérieux en raison de la mise en cause de ma parole par les parents de l’élève concerné.

Je résume : Quelques jours plus tôt, Abdallah s’amuse à m’envoyer de la lumière dans les yeux avec son équerre. Je lui prends son carnet. Abdallah proteste qu’il n’a rien fait. Je m’assois à mon bureau pour écrire un mot à ses parents. Abdallah s’emporte : « Il est fou ! » Au téléphone, sa mère se montre déterminée à rappeler son fils à l’ordre et à obtenir de lui des excuses. Mais peu après, elle m’envoie un message mettant en cause ma « version » et me reprochant d’avoir qualifié Abdallah d’« imbécile ». Rendez-vous est pris pour en discuter. C’est le père qui s’y colle. Je ne le sens pas du tout. A Moulinsart, certains parents sont procéduriers et/ou agressifs. Comme je ne sais pas à quoi m’attendre de la part de ce père que je rencontre pour la première fois, je ne veux pas prendre le risque de me retrouver coincé avec lui dans la petite pièce destinée aux rendez-vous. Heureusement, Madame Alcazar, la principale de Dupont, accepte de m’accompagner. C’est donc dans son bureau que doit avoir lieu l’entretien…

Mais le jour J, à l’heure H, elle est retenue par une mère d’élève, dont l’enfant (je l’apprendrai plus tard) a envoyé des contenus pro-Hamas à des élèves juifs, qui ne l’ont pas bien pris ! Pendant ce temps, avec le père d’Abdallah, on se retrouve comme deux idiots à attendre dans le vestibule. Pour passer le temps en ayant l’air moins bête, je vais tenir compagnie à l’agent d’entretien qui nettoie la salle d’à côté.

Bref. Finalement, tout s’est bien passé. Nous nous sommes expliqués. Le père a accepté d’accorder foi à ma parole. Il s’est engagé à rappeler son fils à l’ordre et à obtenir de lui qu’il s’excuse…

A la vérité, Abdallah ne s’excusera peut-être jamais. Je prendrai sur moi. Au fond, je m’en fous comme de ma première chaussette ! Mais que de stress, de temps et d’énergie dépensés pour du vent !

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Ce soir, j’avais prévu d’aller avec ma fille au rassemblement place de la République, « en hommage à Dominique Bernard ». Je n’ai pas eu le temps de m’informer de qui appelle, ni sur quelle base au juste. Mais puisqu’il n’y en a qu’un, je m’étais dit que c’était quand-même bien d’y être, pour faire nombre.

Et puis finalement… j’ai oublié ! Quand l’idée de ce rassemblement me revient enfin, je joue avec ma fille dans le silence des rouge-gorges. Les marronniers autour du bac à sable s’imprègnent de ténèbres. Les réverbères s’allument. Le crépuscule étend son empire nuageux.

Mardi 17 octobre

En fin de journée, j’ai cours à Dupond avec mes 3°. A partir d’un passage du livre étudié, nous préparons le sujet de réflexion suivant : « Comment peut-on rire d’un événement douloureux ? » Il se trouve justement que Tchang a eu un rire, que j’interprète comme un rire nerveux, pendant la minute de silence de la veille et qu’il a écopé pour cela d’une journée d’exclusion, ce qui fait bien rire ses camarades ! A travers son exemple, nous échangeons sur divers aspects du rire, en lien avec la douleur : le rire de mise à distance de ce qui nous fait peur, le rire transgressif, le rire sadique face à la détresse d’autrui, le rire de décompression et de fraternisation. Tchang, qui est le premier à rire de tout ça, me demande :

« –Monsieur, est-ce qu’on peut-être sadique envers soi-même ?

-Oui, tout à fait ! Cela s’appelle le masochisme ! »

Au passage, j’en profite pour leur toucher un mot du Marquis de Sade et de Sacher Masoch. Bianca me demande :

« –Monsieur, le masochisme, c’est une maladie ? »

Sa question nous amène à digresser sur le problème de la jalousie, un sujet apparemment sensible pour Bianca !…

Mercredi 18 octobre

Dans mon casier de Dupont, je trouve un texte signé des « personnels du collège Dupont (Moulinsart) soutenu par les sections SNFOLC, SNES », « adopté à l’unanimité des présents », daté et signé de la veille et adressé au « ministre ».

Dès les premières lignes, on comprend qu’il s’agit de l’attentat d’Arras. J’essaye de comprendre la finalité exacte du texte. Cela se présente comme une lettre au ministre, mais en même temps les signataires adressent leurs « condoléances » à la « famille », aux « proches et collègues » de Dominique Bernard et apportent leur « soutien aux personnels blessés ». C’est aussi une lettre ouverte puisqu’elle se retrouve dans mon casier. Elle a dû être votée à l’heure d’info syndicale d’hier, pendant que j’avais cours à Dupond.

Elle s’achève par une série de revendications, que je partage globalement, concernant l’encadrement des élèves et la sécurité des personnels.

Entre les deux… quel fatras ! Par rapport à la déclaration de la FSU, le texte va beaucoup plus loin dans l’effacement de la signification politique du crime. Il n’y est même plus question d’« obscurantisme religieux », ni même de « terrorisme », mais simplement d’un « assassinat » et d’une « ignoble attaque ».

Les meurtres de Dominique Bernard et Samuel Paty se trouvent mis sur le même plan que celui d’Agnes Lassalle, tuée par un élève perturbé, et que les suicides de Christine Renon, qui ne supportait plus la surcharge de travail, les pressions quotidiennes et l’absence de soutien de sa hiérarchie, et de Jean Willot, accusé à tort d’avoir brutalisé un élève.

Suit un passage, de forme assez désordonnée, dont j’approuve le fond. En gros, le texte dénonce les politiques d’austérité qui nous ont « dépossédés des outils qui devraient nous permettre d’élever les consciences, de construire les citoyens de demain ». Comme dit la phrase traditionnellement attribuée à Victor Hugo : « Ouvrez des écoles, vous fermerez des prisons. » Dans le cas présent, je pense en effet qu’avec de meilleures conditions d’enseignement, nous serions plus efficaces pour faire reculer l’obscurantisme. Si le mobile des meurtres de Samuel Paty et de Dominique Bernard n’avait pas été effacé, cette évocation du contexte social aurait pu lui apporter un éclairage complémentaire. Elle ne sert ici qu’à noyer le poisson.

Dans un dernier mouvement précédent la conclusion, le texte reproche au gouvernement et à ses prédécesseurs « de nous mettre en première ligne en nous rendant responsables à propos de sujets sensibles ». En guise d’explication, survient entre parenthèses une liste à la Prévert suivie d’un « etc…» semblant indiquer que tout cela est parfaitement clair et que tout va de soi :

« (remplacement de nos collègues, harcèlement, abayas… etc) »

Pour trouver un sens clair à ce passage, il faudrait reconstituer au moins une phrase à partir de chaque terme de l’énumération, ainsi que du « etc » qui la clôt. Mais j’estime que c’était le travail du ou des auteurs du texte, pas le mien !

L’idée d’ensemble se précise un peu plus bas :

« Nous n’acceptons plus que notre employeur nous expose sans cesse aux risques. »

Si j’avais pu être présent à l’heure d’info au cours de laquelle ce texte a été adopté « à l’unanimité des présents », j’aurais aimé demander à mes collègues :

« Jusqu’où êtes-vous prêts à aller pour ne plus être « exposés » aux « risques » ? Êtes-vous prêts à ne plus faire de minute de silence pour nos collègues assassinés par des terroristes islamistes ? A renoncer à donner le nom de Samuel Paty à un établissement ? A ne plus étudier certaines caricatures « sensibles » avec les élèves ? A accepter le port des signes religieux dans les établissements ? D’une manière générale, êtes-vous prêts à modifier le contenu de vos cours, notamment en Français, Histoire-Géo, EPS et SVT, de façon à les rendre moins « sensibles » ?»

Tant qu’elle fonctionnera un tant soit peu, l’école publique et laïque sera toujours l’adversaire irréductible de l’obscurantisme religieux. Le jour où les intégristes nous féliciteront, il faudra se demander quelle connerie on a faite ! Fondamentalement, ce n’est pas notre employeur qui « nous expose sans cesse aux risques », c’est l’essence même de notre métier !

Pour nous, professeurs de l’école publique et laïque, la seule manière digne de diminuer les risques, c’est de faire reculer l’obscurantisme en faisant progresser les lumières ! Et pour cela, oui, il faudra s’en donner les moyens, et oui, nous aurons besoin du soutien des parents et de notre hiérarchie !

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De retour à la maison, je trouve un nouveau mail du SNES : le camarade responsable se montre curieux de comprendre en quoi consistent les divergences que j’évoquais dans mon précédent mail.

Pour me détendre, je m’avale deux caramels mous, avant de lui répondre :

Bonsoir Séraphin,

Je t’écris quelques mots pour te donner une idée.

Le fonctionnement du SNES-FSU :

C’est mon sujet d’opposition le plus ancien. Ironiquement, j’ai toujours dénoncé cette dichotomie au sein du syndicat entre les adhérents militants et les adhérents passifs. Elle est entretenue par la communication du syndicat (vouvoiement des adhérents appelés « collègues » au lieu de camarade, annonce dans la presse interne, du genre « le snes à votre service », comme si il s’agissait d’une compagnie d’assurance…). Dernièrement, la création d’un « espace adhérent », avec identifiant et mot de passe, sur le modèle des « espace clients » de toutes les structures commerciales, marque une nouvelle étape dans cette dérive.  A l’occasion de deux congrès académiques, j’ai constaté à quel point les militants dans leur ensemble étaient collectivement responsables de l’étouffement démocratique : la tribune donne la ligne à suivre, la pseudo-opposition fait son laïus, le congrès vote comme un troupeau de mouton. C’est une pièce de théâtre qui se reproduit d’année en année, apparemment. J’ai assisté à une exception : un congressiste fort en gueule est parvenu à faire adopter un amendement en faveur de ce commerce du corps des femmes pauvres au profit de  couples riches appelé GPA

Le féminisme à deux vitesses de « Nous Toutes » :

Celui qui s’oppose au patriarcat « blanc » mais refuse de s’opposer au patriarcat d’inspiration musulmane.

L’antifascisme à deux vitesses :

Celui qui s’oppose à toutes les extrêmes droites nationalistes et religieuses, sauf à l’extrême droite islamiste.

Dans les deux cas, ce différentialisme, sous couvert d’anti-racisme, est le cache sexe d’un  profond racisme.

(…)

Si tu veux une réflexion plus approfondie sur tout ça, voici deux lettres ouvertes à l’Huma, que j’avais publiées en 2018. Elles mériteraient d’être actualisées, mais j’en assume toujours le fond pour l’essentiel :

Gauche, « race » et islam politique s’emmêlent, Lettres à l’Huma, mai-juillet 2018

Bon courage à toi aussi pour ces deux derniers jours !

Tryphon

Quelques jours plus tard, je recevrais de lui une réponse assez sympathique, dans laquelle il dit partager certaines de mes critiques. Il m’apprend également qu’il est l’une des deux personnes à avoir voté un amendement que j’avais déposé, lors d’un congrès académique, en faveur du retrait du PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan) de la liste des organisations terroristes de l’UE. L’autre personne, vous l’aurez compris, n’était autre que votre serviteur !

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La même après-midi, je parviens à reprendre le contrôle de ma messagerie académique, avec l’aide du service rectoral ad hoc. L’implication dans cette affaire du Hamas et du Mossad n’ayant pas pu être établie, elle est classée sans suite…

Dans mon élan, grâce à un contact envoyé par Dupont, j’écris au service, indépendant du rectorat (ne cherchez pas à comprendre…), responsable de la rémunération des corrections de brevets, qui néglige depuis trois ans de me faire l’aumône, en dépit des kilos de paperasses que je lui ai déjà envoyés à sa demande.

Vendredi 20 octobre, pendant la pause méridienne, au collège Dupond

Après déjeuner, je sors prendre l’air sur la terrasse. Plusieurs collègues s’y trouvent, assis en cercle. L’ambiance n’est pas à la badinerie. Le torchon brûle entre Allan et Rastapopoulos :

« –Les pauv’ choux !…

-Arrête Allan, on en est déjà à plusieurs milliers de victimes civiles. Tu peux pas dire « les pauv’choux » !

-Mais tu ne vois pas que les deux ne sont pas sur le même plan ? D’un côté, tu as le Hamas qui va délibérément égorger des civils, hommes, femmes, enfants, jeunes, vieux… Des mecs de gauche, en plus, des gens plutôt favorables aux Palestiniens… De l’autre l’armée israélienne qui a un objectif militaire légitime : mettre le Hamas hors d’état de nuire. N’importe quel pays aurait fait pareil à leur place. Seulement voilà, oui, c’est la guerre ! Et faire la guerre sans faire de victimes civils, ça, on sait pas faire… Les personnes mortes ont la même valeur, mais leurs morts n’ont pas la même signification ! »

Irma intervient :

« –Ah parce que tu crois que les civils meurent seulement par accident à Gaza ? Quand le ministre de la Défense israélien qualifie les Palestiniens d’« animaux humains», tu crois que ça n’a aucune incidence ? »

Rastapopoulos reprend :

« –Je vais te dire, Allan, le conflit israelo-palestinien sera réglé le jour où tout le monde admettra que la vie d’un palestinien compte autant que celle d’un israélien.

-Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? Ils leur ont laissé leur indépendance, et qu’est-ce qu’ils ont eu en échange ? Des roquettes sur la gueule, des attentats, et maintenant, des centaines de personnes étripées, comme ça…

-Mais Allan, ya une histoire derrière tout ça ! Ça fait depuis l’après-guerre que les Palestiniens sont privés de leurs droits élémentaires. Tu sais comment ils vivent, les Gazaouis, quand ils ne sont pas sous les bombes ? Avec une zone de pêche limitée, une mer de plus en plus polluée, de moins en moins de poissons, des déchets qui s’amoncellent, une nappe phréatique insuffisante de plus en plus polluée et salinisée par la proximité de la mer, les gosses qui tombent malade… Et en Cisjordanie, les check-point partout, l’impossibilité de circuler librement, la loi martiale, pendant que les colons juifs sont libres d’aller et venir… C’est un apartheid, Allan !

-Un « apartheid » ! N’importe quoi…

-Mais ce n’est pas moi qui le dit, de nombreux intellectuels israéliens font le même constat.

-Et oui, parce qu’en Israel, on peut avoir des avis différents, ça s’appelle la démocratie. Essaye d’avoir un avis différent à Gaza…

-Israël, une démocratie ? Une démocratie, c’est quand tout le monde a les mêmes droits. Les Arabes israéliens n’ont pas les mêmes droits que les Juifs israéliens en Israël !

-Mais arrête ! Il y a de nombreux arabes qui connaissent une forte ascension sociale en Israël ! Et sur leurs passeports, qu’est-ce qu’il y a écrit : « israélien » ou « arabe israélien » ?

– « Israélien »…

-Bon alors, ya pas d’discriminations !…

-Dans la pratique, les Arabes israéliens ont beaucoup de mal à obtenir de permis de construire. Il est ainsi déjà arrivé que des villages entiers soient rasés à l’occasion de la construction de routes, car officiellement, ils n’existaient pas ! En plus, en 2018, Netanyahou a fait adopter une loi définissant Israël comme l’Etat-nation du seul peuple juif…

-Ok, va voir dans les pays limitrophes comment y sont traités, les Juifs ! Dans la plupart des pays de la région, si t’es juif ou athée, t’as même pas le droit de vivre !

-Mais je m’en fous des pays limitrophes, je te parle d’Israël… »

Irma reprend la parole :

« –De toute façon, les Palestiniens n’embêteront bientôt plus personne : y en aura plus ! On avait vu arriver ça en Allemagne, dans les années trente, au Rwanda… »

Je m’assois à côté d’Irma pour tenter d’engager la discussion avec elle :

« –Un génocide, c’est l’extermination planifiée de la totalité d’une population. Bombarder des civils, même délibérément, ça ne fait pas un génocide. Les propos du ministre israélien de la Défense sont gravissimes. Ils encouragent Tsahal à ne faire aucun cas des civils, mais il n’y a pas d’appel à l’extermination systématique. Ça décrédibilise la cause palestinienne de parler de génocide alors qu’il n’y en a pas.

-ça je n’en suis pas si sûre… Mais on est bien d’accord que l’urgence, maintenant, c’est d’arrêter les bombardements ?

-Entièrement d’accord. Et pour cela, il faut une forte pression internationale. A notre niveau, nous pouvons manifester. Le problème, c’est que depuis que le Hamas contrôle Gaza, les manifs de solidarité avec la Palestine incluent systématiquement les partisans du Hamas, sous prétexte de faire nombre et de soutenir l’« unité du peuple palestinien » à travers l’unité de ses partis politiques1. Cette stratégie est suicidaire pour deux raisons. D’abord, quand bien même Israël déciderait de se retirer totalement de tous les territoires palestiniens reconnus par l’ONU, aucune émancipation n’est possible avec un parti fasciste comme le Hamas au pouvoir. D’autre part, la compromission des soutiens internationaux de la Palestine avec le Hamas a marginalisé la cause palestinienne. Aujourd’hui, il faut un mouvement alternatif de solidarité avec le peuple palestinien contre tous ses oppresseurs : l’extrême droite israélienne et l’extrême droite palestinienne. Il faut s’adresser directement aux Palestiniennes et aux Palestiniens qui aspirent à la paix, à la justice sociale, à la liberté de conscience, d’expression, de mouvement, de vivre sa sexualité, à une éducation laïque, à la joie de vivre… en court-circuitant les fachos du Hamas, voire même les pourris du Fatah ! »

Epilogue

Quelques années plus tôt, je me promenais au Jardin des Plantes, avec mon camarade Nestor…

« -Nestor, je crois qu’aujourd’hui les partisans d’un communisme anti-autoritaire et humaniste devraient commencer à s’organiser et à s’exprimer de manière autonome…

– « s’organiser et s’exprimer de manière autonome » ! M’enfin Tryphon, tu n’y songes pas !… Et avec qui ?… Et sur quelles bases ?… »

Avec qui, je ne sais toujours pas. Mais les « bases », je les ai trouvées. Elles sont là, dans ma poche. Si vous souhaitez en prendre connaissance, rien de plus simple !… Il vous suffit de cliquer ICI.

1Par exemple, la manif prévue samedi 4 novembre comprend, parmi ses signataires, PSM (Participation et Spiritualité Musulmane), qui est l’antenne française des Frères Musulmans marocains (Al Adl Wal Ihsane), très impliquée dans la Manif pour Tous, le CCM (Collectif des Musulmans de France), membre du comité de soutien à Tariq Ramadan, signataire de l’Appel des Indigènes de la République, le NPA, qui soutient ouvertement le Hamas, et LFI, dont plusieurs dirigeants considèrent les hommes du Hamas comme des « résistants ».

Une réflexion sur “5-20/10/2023 : Quinze jours d’« hommage » à Samuel Paty ! Le témoignage du professeur Tournesol

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