« Sous les Frondaisons stridentes… » et « Les Tournesols », deux poèmes d’Eric Mercier illustrés par Vincent Citot et Vincent Van Gogh

Les Tournesols, série de Paris, Vincent Van Gogh, 1887

«  LES TOURNESOLS »

C’était toujours avec une certaine appréhension que le champ se réveillant du sommeil de

L’hiver observait dans son horizontalité, le vieux paysan.

Cet homme planté à son angle, avait vu bien des récoltes, bien des moissons, son béret

De travers sur sa tête chenue, en costume en velours côtelé, élimé aux manches, usé aux genoux, avec aux commissures des lèvres une gitane maïs, comme une braise lente, qui

Lui jaunissait la bouche.

Le champ ne savait pas ce que prévoyait l’homme, ce qu’il savait, c’est que bientôt, celui

Ci, assis sur son vieux tracteur au rouge délavé, des phares étoilés, définitivement éteints

Soleils crevés, passerait la charrue, immense ongle rouillé, pour renverser la terre

Bouleverser des ombres, un labour qui serait autant de cicatrices aux protubérances

Grasses.

La machine avait avancé cahin-caha, laborieusement, le vieux paysan secoué

Tout de guingois, dans le tohu-bohu, le vacarme enfumé, la tête en arrière il jetait un

Regard qui surplombait l’apparition des blessures argileuses.

Il y a deux ans, le champ avait vu, après ses meurtrissures, son corps brun se couvrir

De longs épis de blé alourdis de grains presque vermeils. L’année dernière un seigle un peu triste, un peu gris, un peu anonyme avait tatoué sa surface.

Ce labour était terrible, non seulement il subissait, mais également, le soc antédiluvien

Faisait remonter des cailloux blancs comme des os et une multitude d’insectes, de vers

Qui se tortillaient aveuglés par cette lumière soudaine et les jours d’après des nuées

D’oiseaux surexcités, la plume en bataille s’abattaient, fouillant du bec mes scarifications

Encore humides.

Je voyais ses gros godillots sur moi, avançant avec difficulté, il ressemblait à un culbuto

Un peu voûté, un peu fourbi, il semait à l’ancienne, à la volée, les grains faisaient un cercle

Ephémère avant de tomber dans les sillons.

Ensuite, venait le temps des grandes pestilences. Avec un tombereau patiné de corrosions

Rougeâtres, il m’aspergeait, il épandait un fumier noir et épais d’où s’échappaient de grosses mouches en armures vertes.

Puis revenant avec le tracteur, il passait une herse pour aplanir ce mélange contre-nature.

Dans l’interrogation suspendue, il fallait que j’attende, des journées anisées, afin de pouvoir

Savoir, de pouvoir savoir.

Bientôt des pousses tendres émergeaient de mes boyaux, il me fallait encore davantage de patience.

Bientôt les tiges s’étaient élancées vers les hauteurs brûlantes, c’était l’été.

Assez promptement les fleurs avaient écloses, tout d’abord modestes, elles étaient devenues

Rondeurs gigantesques, de beaux tournesols resplendissants.

Sur mes bords les fleurs pleines d’atermoiements, pleuraient des pollens de chagrin, elles

Etaient si petites qu’elles se pensaient insignifiantes.

Maintenant j’étais couvert de tournesols, de tournesols très imposants, une kyrielle de pétales

Jaunes, un débordement de tiges, une pléiade de faces rondes, de visages ronds lumineux

D’être adorateurs du grand central, du soleil.

Figures ou bouches aux yeux multiples ?

Tout cela se confondait dans une hypothétique analyse.

Soit on pouvait entendre le bruit de leurs grandes bouches buvant goulûment la lumière

Ou bien alors observer leurs yeux immenses, fixant, adorant, hypnotisés par l’amplitude

Photosphère.

Les tournesols souriaient de toutes leurs dents ovales,de toutes leurs graines qui ressemblaient

A s’y méprendre à de minuscules œufs bruns, dans l’attente de quitter leurs énormes rondeurs

Arrachés, détachés par la main du vent, par le bec ivoire des oiseaux, par la clarté soudaine

Du bond d’une sauterelle.

Un seul tournesol ne suivait pas le char brûlant. Il était à l’extrémité de moi-même, du côté

Gauche.

Il était à l’envers, sombre, sans couleur.

Etait-il étourdi lors de sa germination peut-être trop hâtive ?

Voulait-il voir le jour dans une perpétuelle nuit interrogative ?

Je ne la savais pas.

C’était certainement ma part d’ombre……..

Bouche de Cavage, photographie de Vincent Citot, île de France, 2023

Sous les frondaisons stridentes

J’avais abandonné Eole

Peintre total

Qui jaunissait les prairies folles

Peintre à l’inspiration définitive

A l’absolue palette calorifique

Dorénavant les champs

Que j’avais quittés

Jadis couverts d’épis énormes

Aux grains explosifs

Novas dorées

N’étaient plus

Que cadavres ombrés

Couchés

Pailles terrassées

Pailles essoufflées

Sous le souffle chaud

Dans l’haleine brûlante de l’été

Dans mon havre de verdure

La fraîcheur était une armure

Dans les ramures

Des oiseaux ébouriffés

Jouaient à saute-branches

Le bonheur me donnait des ailes

Mais la forêt

N’était qu’un îlot

Précaire

Il me faudrait retrouver

L’horizon harassé

J’avais déjà soif

En pensant

A ce futur calorifique…….

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