« Un Revenant malgré lui » et « La Fleur », deux poèmes d’Eric Mercier illustrés par Vincent Citot et Alphonse Mucha

Femme parmi les Fleurs, Alphonse Mucha (1860-1939)

LA FLEUR

C’était la fille du roi, la cour, le peuple et son père l’appelait ainsi, quoiqu’au départ

Tout autour de son berceau de soie, il se chuchotait XI LANG.

En grandissant, devenant femme, elle avait probablement récolté les offrandes des dieux

Des déités les plus variées.

Dire qu’elle était belle ne suffisait pas, elle était magnifique, envoûtante, hypnotique.

Comment nier la beauté ? Comment nier la beauté quand elle est quasiment surnaturelle.

Les dames du palais, vertes de jalousie devenaient à son passage des furies, des masques

Grimaçants, des verbes sifflants, des phrases assassines, acides.

La démarche de Xi était pleine de grâce, mais malgré tout son déhanchement était emprunt

D’une volupté terrible, sa longue chevelure de jais dansait, serpents d’ébène, enserrant sa taille comme une ceinture vivante, ses yeux étaient immenses, une lueur dorée les parcourait

Papillons emprisonnés dans une pupille verte, marécage énigmatique.

Sous sa longue robe rouge, ses petits seins pointés vers le ciel.

Les princes chamarrés étaient tombés en pâmoison, d’habitude si frivoles, ils

S’évanouissaient à sa vue.

Le roi, la tête de côté, pour cause, une couronne lourde comme une enclume sertie de pierres

Multicolores, avait pris la décision de marier sa fille.

La capitale du royaume était minuscule, elle se situait au fond d’une vallée profonde

Entourée de très hautes montagnes, aiguisées, menaçantes, tranchantes comme des couteaux

De granit.

Sa majesté était perplexe, il cherchait une idée, un moyen de départager les prétendants.

Les très, très anciens, tellement ridés que leurs cheveux flottaient presque à leurs pieds et leurs

Barbes blanches ressemblaient à des ruisseaux de kératine, avaient suggéré que le mari

Idéal serait celui qui irait chercher et rapporter la fleur, une fleur unique, une fleur géante

Mauve, mythique, probablement mystique.

Les anciens avaient ouvert de vieux grimoires, consultaient d’antiques parchemins, éparpillant

Poussières, cadavres d’insectes, toiles d’araignée déchirées et murmures du passé.

Après maintes lectures, les sages chenus avaient découvert que le bijou de pétales était protégé, gardé jalousement par un être étrange, un géant avec un unique œil sur son front cabossé.

Réunissant les informations, le lieu et la difficulté, ils confièrent au roi tout cela, qui du reste

S’en trouvait fort désappointé.

Tous les princes piochant dans leurs coffres, avaient dépensé énormément, tous avaient acheté

Mulets, piolets cordes, vivres, sans compter des mercenaires aux épées titanesques, corsetés

De fer noir.

Dans un vacarme épouvantable les cortèges avaient pris leur élan, leurs paroles égocentriques ravissant leurs âmes.

Chaque prince pensait conjuguer les éléments, il se trompait lourdement.

Seul, observant le tumulte, un jeune homme pauvre en guenilles était resté statufié dans la détresse, dans cette tendresse inatteignable.

Pour qu’advienne l’enchantement, il lui fallait aussi essayer.

Déjà les princes grimpaient les flancs de la montagne avec tous leurs attirails, hommes, bêtes

Et armes, dans une fébrilité irraisonnée.

Néanmoins dans leurs états de surexcitation, les princes poudrés étaient tombés de haut

Au propre comme au figuré. Eboulis, avalanches vengeresses, agglomérats de silex qui roulent

Amas qui s’effondrent, ravins définitifs, les princes et leurs équipages périrent, assez rapidement. Un seul était arrivé presque au sommet avec un lambeau d’équipage.

Pensant l’affaire conclue, le prince survivant avait cherché du regard la fleur tant convoitée

Avec un regard plein de stupre.

Ses yeux pervers étaient tombés sur l’étrange personnage.

Il le regardait, il avait beau n’avoir qu’un œil, celui-ci l’avait tout de suite jaugé, jugé.

Son corps était parcouru de veines de silice, sa peau couverte de lichen jaune, de lichen gris

Ses mains énormes, s’amusaient, crépitements de minéraux qui s’effritent, à écraser des rochers.

Le faisait-il par ennui ?

Au même moment le jeune homme, haletant, s’écorchant les mains aux arrêtes vives

Bien plus bas, tentait de s’accrocher à son idéal.

Il faisait déjà sombre, la nuit n’offrait que la chaleur des étoiles lointaines, braises faibles qui pulsaient dans les tourments cosmiques.

En chien de fusil, le jeune homme avait tenté de trouver le sommeil dans une excavation.

Pensant que l’obscurité lui serait propice, le prince les yeux injectés de sang ordonna à

Ce qu’il restait de soldats d’attaquer le cyclope.

Ils furent mis en pièce en un instant, le prince suspendu un moment par les pieds avait été

Projeté dans un vide définitif.

Le jeune homme s’était réveillé, il tremblait de tous ses membres.

La première chose qu’il avait aperçue, c’était une très grosse main qui tenait délicatement

Une fleur merveilleuse.

Certains observateurs, demeurés dans la vallée avaient certifié avoir aperçu, dévalant

A toute vitesse la montagne, un géant écartant les rochers, pulvérisant les obstacles

Portant sur son dos, un jeune homme qui tenait une fleur mauve dans sa main fragile……….

Le Champ de Lave, photographie de Vincent Citot, Road 417, Islande, 2018

UN REVENANT MALGRE LUI

Il était beau, derrière sa vitre sertie d’un cadre à la dorure pâle. Il était beau, dans son uniforme impeccable, sa veste bleue, son pantalon rouge garance, sa casquette bien ajustée

Sur sa noble tête, il arborait une fine moustache, bien taillée, bien noire.

Son sabre d’apparat pendait à ses côtés, magnifique, lançant des éclairs d’acier et de bronze.

Sur son col, cossu d’une façon un peu épaisse, on pouvait lire le chiffre 13.

Marcel, son marcel avait été affecté au 13° Régiment d’infanterie.

D’ailleurs en arrière plan on pouvait distinguer le drapeau français, avec le numéro brodé

Sur celui-ci, soutenu par deux fusils Lebel.

Geneviève avait posé la photo sur la vieille commode ventrue, délicatement. Il y avait

Toujours un petit vase en céladon qu’elle garnissait de petites fleurs des champs.

Les ailes du sinistre s’étaient déployées, la grande guerre était arrivée, 1914, de toutes parts

Des discours belliqueux avaient fusé, un prince avait été assassiné, mais cela avait été

Un prétexte, les armes avaient été déjà fourbies, fournies, la grande massacreuse était mature

Pour œuvrer dans le sang, l’horreur, le bruit et la poudre, cela avait été un long effarement

Un lancinant effarement.

La revanche, la crise économique, les racines enfouies des douleurs d’antan, l’Alsace et la Lorraine, tous les éléments étaient là pour que les hommes, souriants, la fleur au fusil

Prennent des trains en bois, sur lesquels de façon naïve, ils avaient écrit « BERLIN ».

Au bout de quelques mois, le conflit avait statufié les deux armées, certes il y avait

Des avancées, puis des retraites. Sans répit, des déluges vulcaniens s’abattaient, orages d’acier. C’était l’ivresse des maudits si près de la flamme. La mort inondait les îlots épars.

Sans fin les instants, des spirales ardentes, désormais tous étaient au-dedans de soi, suffocants

Dans les explosions sans fin, les crêtes des collines avaient été aracées, bombardées, retournées.

Les éclaboussures de leurs prières partaient et repartaient dans l’oubli.

Dieu n’était pas là et l’aumônier qui donnait les derniers sacrements aux soldats aux ventrailles dégoulinantes au fond de la boue des tranchées, n’y croyait plus lui-même.

Le crucifix était mangé de rouille, tordu, les chapelets pleuraient des larmes de bois ou d’os.

C’était la conjecture des âmes, une conjecture approximative.

Il avait tapé doucement à la porte, le facteur. Il avait tapoté à la porte le facteur, engoncé

Dans un épais costume en drap de laine, il était très intimidé, très mal à l’aise, il avait trituré

Sa casquette avec ses gros doigts rouges.

Verdun, Verdun arrosé d’hémoglobine, de chairs arrachées, de cris, de ferrailles dissoutes.

Elle avait ouvert la missive, avec un vieux coupe papier, un vieux coupe papier qui serait

Venu du Tonkin via une histoire de famille abracadabrante.

Elle ne tremblait pas, elle savait déjà.

Dans une missive très administrative, glaciale, on lui faisait part que Marcel, défendant une position terriblement stratégique, avait perdu la vie, lorsqu’un maudit obus prussien de 350 mm avait pulvérisé ce vaillant soldat de la nation, le sus nommé Marcel.

Réduit à l’état de purée, il s’était dissous dans la marne, la glaise, la boue.

A titre posthume pour son courage, sa totale abnégation, Marcel recevrait la Croix de guerre

Avec palmes.

Après LA victoire de 1918, les années avaient défilé tristes, mélancoliques.

Sa pension de guerre était loin de subvenir à ses besoins, certes modestes, mais essentiels.

Alors dans un fauteuil Voltaire, si ancien, qu’on lui sentait ses os de ferrailles, ses ressorts

Fatigués, elle brodait de petits napperons qu’elle vendait au marchand de journaux.

Le soir, sur le perron de sa porte, elle regardait la ligne incandescente des étoiles filantes.

Cherchant le réconfort, une explication tangible à tout cela, elle s’était momentanément

Décidée à fréquenter l’église, avec l’assiduité du désespoir.

L’église était en piteux état ; l’eau du bénitier avait un goût de larmes, un Christ chancelant

Fusillé par les vrillettes, ses yeux en verre dépoli par un Cronos concurrent ancien mais direct, observaient le ciel, ce plafond plein d’une suie grasse, un regard sans espoir, les vitraux par endroits troués, abîmés, laissaient s’immiscer une impudique lumière, la lumière

D’un soleil qui avait été adoré avant tout cela.

L’éphéméride qui perdait ses feuilles, si vite, à toute allure, à toute saison, les calendriers

Qui s’empilaient coincés dans le vaisselier, leurs images naïves, leurs images d’Épinal

Pâlissantes, s’empoussiérant sur la tanche, lui avait fait abandonner la foi.

Désormais, elle s’occupait de son petit jardin potager entre la création des dentelles alimentaires.

Dans le village, les maisons se bombaient, des mousses désordonnaient l’équilibre des tuiles

Les hommes avaient disparu dans la Grande Guerre, il ne restait d’eux que leurs noms

Gravés dans le marbre d’un monument aux morts, surmonté d’un poilu en bronze, le bras

Tendu la bouche ouverte grimaçant un « vers la victoire » silencieux, un lansquenet de bronze qui suait des exsudations vertes.

Les jeunes étaient partis en ville, il ne restait plus que des vieillards cacochymes et deux,

Trois vieux chiens presque aveugles aux regards couverts d’un linceul blanc.

L’idée lui était venue, en observant des pies qui cherchaient des insectes, des vers de terre

Dans les sillons du jardin, rides momentanées.

Parcourant une carte Michelin mâchouillée par les transports, pointant d’un ongle abîmé

Une ville, la ville et ensuite l’endroit.

Dans une petite valise en cuir tout craquelé, elle avait glissé quelques affaires, très peu

Quasiment, le minimum.

Elle s’était rendue à la gare qui se trouvait à l’extérieur du gros bourg, en rase campagne.

Le quai était fissuré, l’auvent rouillé soutenait une verrière brunie par les déjections

Des pigeons.

La locomotive, dans un fracas de bielles mal huilées, crachant une épaisse fumée fuligineuse

Fumeroles sombres et dantesques, des jets de vapeurs qui envahissaient jusqu’au ballast, jusqu’à l’amorce du quai, était entrée en gare.

Geneviève était montée dans un des wagons, la voiture 666.

Un long couloir muni de gros cendriers desservait des compartiments, des banquettes rouges

Des filets et au-dessus d’elles, des photographies en noir et blanc des plus beaux paysages de France.

Le voyage avait été long, exténuant.

Enfin elle était arrivée, la ville avait été partiellement reconstruite, la citadelle souterraine

Etait presque intacte, un peu partout des restes de casemates, de coupoles, un immense cimetière s’étendait à l’Est de la ville, des croix blanches comme de l’os, des cyprès, glaives

Feuillus abritaient des oiseaux turbulents, un immense drapeau français bougeait mollement

Au gré d’un vent tiède.

Il était obligatoire d’avoir un guide pour se rendre sur la ligne de front, il fallait le suivre

Sur un petit chemin balisé, tout autour se trouvaient les mines, les obus enfouis, la mitraille, la mort.

Le travail ne faisait que commencer, il allait être long, fastidieux pour débarrasser les sols

Des diables ferreux.

Le guide était en avant, commentant, moulinant des bras, sémaphores descriptifs de

La grande boucherie, le groupe quant à lui, sagement, dodelinait de la tête, Geneviève

Quant à elle, légèrement en retrait, avait sorti de son sac en crocodile factice un petit

Pochon en toile de jute, le plus discrètement possible, d’un geste leste, elle avait ramassé

Une poignée de terre dans l’étui rustique.

Elle ne voulait pas rester longtemps, elle avait pris aussitôt un train qui était arrivé chez elle

Lorsque les étoiles chutaient d’un nulle part prévisible.

Ouvrant la porte de sa maison, aux carreaux qui frissonnaient, Geneviève avait déposé

Le petit sac tout à côté de la photo de son mari, puis elle avait pleuré.

Des jours avec des lendemains sans véritablement de signification, de lendemain de lendemain, Geneviève continuait d’ouvrager dans son jardin.

Une idée avait germé avec la vitesse de l’histoire du haricot magique, avait germé subitement.

Prenant sa bêche, la faisant tournoyer, au ras du sol, dans les profondeurs de celui-ci

Elle avait haché les laitues, décapité les tomates, émasculé les carottes, éventré les

Patates, puis, estimant la surface, elle s’était précipitée vers la remise.

Elle en était sortie avec un seau. Le remplissant patiemment, elle avait fait des aller-retours vers la maisonnette. Maintenant, au milieu de la pièce il y avait un petit monticule

De terre, alors elle avait versé dessus le souvenir de Verdun.

Puisant de l’eau au gros robinet hélicoïdal, elle avait versé, versé le liquide qui glougloutait

Dans une complainte étrange de matière asséchée.

Elle avait travaillé plusieurs jours avec méticulosité.

Enfin un matin où un soleil timide caressait le perron, elle avait pu observer sa réalisation.

Devant elle se trouvait dorénavant Marcel, se précipitant dans la petite chambre au vieux lit

Bateau, lit couvert d’un dessus de lit molletonné décoré de roses pâlissantes, elle avait décroché de la penderie l’uniforme d’apparat de son défunt époux.

Quand elle était revenue de cette chambre aux volets toujours fermés, Geneviève avait sursauté, le Marcel de terre la regardait en souriant, le cœur de Geneviève se mit à battre

La chamade lorsque ce dernier d’une voix douce lui avait dit :

« Laisse mon amour, je vais m’habiller seul. »

Il y avait mille lumières dans les yeux de Geneviève, dehors soudainement des nuages impromptus avaient fait leur apparition.

Marcel alors avait dit :

« Tu crois qu’il va pleuvoir ma chérie ? »

Il s’était dirigé vers la porte, l’avait franchie.

Marcel avait levé la tête, un éclair bleu avait déchiré le ciel, des trombes d’eau s’échappèrent

De nuages tout tordus, tout noirs.

Devant l’abominable spectacle, Geneviève était restée pétrifiée, statufiée, serrant ses deux mains dans un geste inutile.

Marcel se dissolvait lentement, perdant un bras, puis deux, ses jambes se raccourcissaient

Jusqu’à disparaître, il n’était plus resté que sa tête avec des yeux qui imploraient, puis

Plus rien.

La boue retourne à la boue, nous retournons tous à la terre, les revenants repartent tôt ou tard……….

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